J’ouvre ce courrier aux personnes intéressées car il soulève l’histoire de la création de notre hymne, d’une part pour la musique, et d’autre part pour les paroles (voir l’onglet « HISTOIRE » de ce site). Il pose deux questions aux archives dont une conditionne toute l’origine de la création de la Marseillaise : la lettre de Sybille-Louise Ochs de Dietrich, épouse du premier maire de Strasbourg, à son frère à Bâle, fin avril 1792. Cette lettre mentionne aussi les dernières recherches sur le véritable lieu de la création de la Marseillaise à Strasbourg par l’historien Alsacien Claude Betzinger qui bouscule un peu plus les fondements du mythe Lamartinien.
objet : recherche sur les origines de la création de « la Marseillaise ».
Monsieur,
Auteur compositeur interprète (membre SACEM depuis 1976) j’ai écrit, il y a quelques années, un nouveau couplet avec son refrain sur la musique de la Marseillaise, pour retrouver du plaisir à chanter cet air mais avec des mots qui conduisent davantage l’Homme vers l’Humanité … A l’inverse de nombreux auteurs s’étant livré à cet exercice, j’ai respecté le message de vigilance historique vis à vis de la tyrannie et rappelé l’idéal de liberté (« la liberté éclaire le monde entier »). Je me suis inspiré de la même source que celle attribuée à Claude joseph Rouget de Lisle : l’affiche placardée par la société des amis la constitution à Strasbourg.
Depuis plusieurs années j’ai recherché et analysé les propos des intellectuels révolutionnaires de 1788 à 1795. Je pense qu’il est difficile de comprendre les allégories sanglantes de la Marseillaise si un travail transversal n’est pas effectué. Pour l’historien Bernard Richard (« les emblèmes de la république-2012 ») supprimer l’expression « qu’un sang impur » … « serait commettre un anachronisme et détruirait le lien filial entre la république et sa mère la révolution, en commettant ainsi un parricide » … Ces propos logiques chez un historien gardien de l’imaginaire républicain et des mythes révolutionnaires, me confirment l’importance du choix des mots pour notre hymne car ils vont finalement à notre insu nous gouverner, un peu comme des mantras et structurer notre inconscient collectif. De mon point de vue, la République doit proposer d’autres repères, d’autres allégories sur la musique de son hymne qu’un désir de mort de l’autre, pour construire une société humaine et civilisatrice.
Le vers entier : « qu’un sang impur abreuve nos sillons »… est un emprunt à L’avocat Parisien : Claude-Rigobert Lefebvre de Beauvray (« adresse à la nation Anglaise » pendant la guerre des 7 ans : « …Armer tes bataillons et de ton sang impur abreuve tes sillons…Publié en 1757).
J’ai longtemps étudié avec passion l’évolution de cette expression terrible dans les nombreux documents accessibles, d’une part avant la création de ce chant de guerre (daté officiellement du 25 avril 1792) et d’autre part pendant les 3 années suivantes. Je me suis rendu compte du terrible impact de cette expression, totalement popularisée en quelques mois partout en France, puis portée à son apogée pendant la terreur, et qui servi de justification aux innombrables crimes perpétrés par une « justice » expéditive (« Les purs » du comité devaient « régénérer le peuple »).
J’ai découvert que cette Marseillaise, aujourd’hui encore, tenait surtout par le poids écrasant de notre histoire sanglante, guerrière et révolutionnaire des deux derniers siècles. Nous devons à Lamartine, Dumas, Pils et quelques autres qui ne se souciaient guerre de la vérité historique, d’avoir fabriqué un mythe sur la toile de fond des révolutions de 1830 et 1848.
J’ai aussi compris qu’aujourd’hui beaucoup de mes contemporains, certainement de bonne foi mais par facilité, préfèrent le mythe aux vérités de l’histoire. Soulever cette question induit parfois des réactions étonnamment agressives. Sur les blogs d’internet de plus en plus d’individus affirment maintenant que « le sang impur » de la Marseillaise désigne celui du peuple Français allant se battre pour la liberté ! Ce contre-sens historique béant ne les effraye pas, y compris au regard de la masse d’archives importante accessible pour tous par le numérique. Je n’entends aucun historien gardien des armoiries de la République se dresser devant ce révisionnisme de notre Histoire. Quelle n’a pas été ma surprise de découvrir que finalement très peu de personnes ont envie de connaître la réalité des événements surtout si elle devient urticante et s’écarte du mythe …
Lentement, très progressivement, J’ai découvert une autre histoire de France moins glorieuse, sous les fonds baptismaux de notre histoire officielle. Pour la Marseillaise j’ai surtout dû me dégager du mythe cocardier patriotique ressorti régulièrement depuis le 10 aout 1792 en fonction de la nature des guerres où des soulèvements du moment.
En me penchant sur la personnalité très ombrageuse et susceptible de Claude joseph Rouget de Lisle puis sur la pertinence de ses créations musicales, je rejoins l’immense majorité des historiens ou chercheurs en musicologie pour lesquels cette jolie page mélodique, envolée et complexe à la fois, ne peut avoir été inventée par lui, et de surcroît en une nuit.
Depuis 2007, l’ensemble de mes interrogations, intuitions, et recherches sur l’origine de cette musique, concentre aujourd’hui mon intérêt (et ma frustration faute de sources indiscutables) vers une salle d’opéra de Madame de Montesson, rue de provence à Paris, entre 1780-1781 et à m’intéresser à des musiciens comme Julien dit de Navoigille, violoncelle de la compagnie italienne qui introduisit à cette époque la fameuse « belle musique pleine de tendresse » mais d’un rythme différent (voir « l’académie impériale de musique de 1645 à1855 de Castil-Blaze ») Je soupçonne aussi une reprise complice de Jean-Frédéric Edelmann dans son oratorio Esther (Paris-1781-1782) : la seule partition importante de ses œuvres manquante aux archives nationales (pas de chance !).
Détail intéressant, de 1777 à janvier 1782, Claude-Joseph Rouget qui habite chez son oncle à Paris, fréquente les musiciens et « préfère aller à l’opéra dès qu’il le peut plutôt que de retourner dans sa famille » (Rouget de Lisle inconnu -de la Fuye-1943). La probabilité qu’il écoute Julien aîné dit de Navoigille jouer au violoncelle « cette belle page de musique » à l’opéra de Madame de Montesson (et l’apprenne lui-même au violon) est donc particulièrement fondée. Ce genre de musique allant parfaitement avec son esprit et sa prose préromantique.
Que dire du maître de chapelle de Saint-omer, Jean-Baptiste Grisons qui en 1785 détenait une partition dont la ligne mélodique est semblable à la Marseillaise, note pour note, (La marseillaise d’Arthur Loth-1888) aussi nommée l’oratorio « Esther », donc cinq ans avant « l’inspiration géniale » et « fulgurante », de Rouget de Lisle !!! (histoire officielle de la République). Si l’antériorité est prouvée, je n’ai pas les mêmes certitudes pour l’attribution de la musique à Grisons contrairement à ce qu’affirme le remarquable Arthur Loth. L’étiquette du document est d’un copiste différent de la partition qui a très pu la classer ainsi sans demander l’avis du maître. D’ailleurs Grison n’a jamais revendiqué cet air et sur le tard ne se souvenait même plus de cette page !
Le tableau d’Isidore Pils (achevé en 1849 !) illustre avec talent l’évènement à partir de ce mythe inventé par Lamartine pour les Girondins. Pourtant beaucoup de questions restent sans réponses sur le déroulement réel des soirées chez Frédéric de Dietrich les 25 et 26 avril 1792 : le lieu, l’adresse, l’inspiration nocturne magique, l’interprète …
J’ai aussi recherché (b.n.f …) des documents d’époque validant l’existence et la teneur exacte de la fameuse affiche placardée sur les murs de Strasbourg autour du 23 avril 1792. Elle demeure un élément important car visiblement c’est l’épine dorsale des différentes inspirations utilisées pour écrire les paroles du chant de guerre. Mais Il est étonnant de voir à quelle époque tardive émergent les premières sources qui concerne cette affiche et leurs fragilités !
Je n’ai pu retrouver aucun original ou fac-similé de cette affiche ou même de document contemporain à cette adresse aux Strasbourgeois. J’ai posé une question écrite à ce sujet à la BNF. La réponse me recommandait de consulter le livre de F.-C. Heitz « les sociétés politiques de Strasbourg de 1790 à 1795 » édité en 1863 (!) réalisé à partir d’un registre authentique mis à sa disposition « par un de ses concitoyens » que l’auteur ne nomme pas! J’y ai trouvé effectivement un texte qui ressemble à celui de l’adresse que nous connaissons, mais dans une version très délayée, très longue et F.-C. Heitz date cette adresse au 30 avril 1792 soit cinq jours après le 25 avril ! Il me faut donc poursuivre mon chemin vers les archives de l’Alsace.
Au fil de mes recherches et mes lectures je me suis attaché à la personnalité du Baron Philippe-Frédéric De Dietrich, « exécuté » au terme d’un procès inique le 29 décembre 1793 à Paris. La qualité de ses écrits, la fidélité à ses idéaux républicains dans la monarchie constitutionnelle, sa modération, la noblesse et la profondeurs de ses propos pendant les derniers mois de sa vie, ses dernières paroles rapportées par le bourreau Samson dans ses mémoires (etc)… m’ont singulièrement touché ( sources : différents liens et ouvrages dont celui de Louis Spach archiviste en chef du Bas-Rhin-1857). Mais peut-être a-t-il atteint aussi ma sensibilité par sa qualité particulière de musicien, tout comme sa claveciniste d’épouse.
Effectuant un travail de synthèse pour la rénovation prochaine de mon site internet devenu obsolète (2007-2014), et au seuil de bien d’autres démarches, j’essayais de contacter Hélène Georger-vogt la conservatrice de vos archives pour lui poser deux questions importantes.
Je me permets donc maintenant de vous les poser :
—- Le courrier de la Baronne Sybille Ochs de Dietrich, écrit quelques jours après le 25 avril 1792 à son frère demeurant à Bâle, serait l’unique document censé valider la création du chant de guerre : est-il exact qu’il soit suspect d’être un faux ? Tant par le style inhabituel employé par l’épouse du maire de Strasbourg, Sybille de Dietrich, que par le type de signature qu’elle y a apposé. Est-il vrai qu’elle signait « ta Louisette » dans ses correspondances avec son frère et non par » ta sœur, Louise Dietrich née Ochs » comme cela figure sur ce document ? Sylvie Pécot-Douatte aidée par Hélène Georger, (à la recherche d’Edelmann, le musicien guillotiné-2001) écrit : « il n’y a pas de trace de l’original de cette lettre », remarque très importante pour le crédit historique du « chant de guerre »… Mais alors sans original, quel est le support qui valide l’évènement ?
Est-il possible d’obtenir une copie ou un fac-similé de ce courrier (ou simplement un lien vers lui, si numérisé …), de même qu’un passage d’une lettre authentique de la même époque écrite par la Baronne de Dietrich ? Je ne prétends en aucun cas me situer en « historien ». Tout au plus j’ai mis mes pas dans ceux du créateur inconnu d’une mélodie historique; et l’étude des personnalités par l’écriture fait partie de mes outils professionnels de mes trente dernières années.
—- A en croire Alphonse de Lamartine dans « l’histoire des Girondins » (1847), Claude Rouget de Lisle et Frédéric de Dietrich, émus, sont tombés dans les bras l’un de l’autre à la fin de l’interprétation du chant !!! (cette reconstitution patriotique est particulièrement grotesque).
Pourtant Le Baron Frédéric de Dietrich « ne dit mot de la création du chant de guerre dans son journal » pour les soirées des 25 et 26 avril 1792 « ni dans ses lettres envoyées aux environs de cette date »…
Cela est très surprenant , pouvez-vous me confirmer cela et m’apporter des éléments sur cette question ?
En m’appuyant sur les travaux intéressants de l’historien Claude Betzinger, j’imagine plutôt le Baron de Dietrich préoccupé par les préparatifs de son départ de l’appartement où il réside alors, au 23 rue des charpentiers (et non à l’ancien domicile place de Broglie où est fixé la plaque commémorative !) vers son futur logement de la rue brulée, dont le bail lui fut ouvert à partir du 1er mai 1792 soit 5 jours seulement après la fameuse soirée ! Si le peintre Isidore Pils l’avait su en 1849, il aurait aussi représenté en arrière plan quelques cartons et caisses pour faire plus « vrai » !!! …(humour)…
Enfin, Claude-Joseph Rouget de Lisle dans une lettre adressée à Philippe-Frédéric De Dietrich le remercie quelques jours après le 25 avril, pour « ces moments agréables où on a » tant parlé politique »…(sources : Sylvie Pécot par Hélène Georger). Mais aucune allusion de sa part à la création du « chant de guerre » … Tout cela est bien étrange.
J’espérais secrètement que Madame Georger pourrait éclairer ma lanterne aussi je me tourne vers vous pour répondre à mon questionnement et me permettre d’avancer dans mes recherches, éventuellement en me transmettant des liens numériques afférents.
Ayant mis un terme à mes activités professionnelles depuis peu, je suis disponible pour échanger avec vous ou venir vous rencontrer si cela vous semble plus adapté.
Dans l’attente de votre réponse, ô combien espérée, et en regrettant d’avoir été un peu long, veuillez croire Monsieur le Conservateur des Archives, en l’assurance de mes plus respectueuses salutations.
Pierre Ménager :
une autre Marseillaise.